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«Mini» a tourné le dos au Vatican, à une trentaine de kilomètres de la mer Tyrrhénienne, pour se diriger vers Saint-Marin, à une vingtaine de kilomètres seulement de la mer Adriatique. Une traversée de l’Italie par les Apennins, de la pesanteur de la bureaucratie vaticane vers un état opérette souriant, la plus ancienne république au monde.
Nom officiel : Serenissima Repubblica di San Marino / Superficie : 61,19 km2 / Point culminant : Monte Titano (739 m) / Point le plus bas : Rivière Ausa (55 m) / Population : 33 000 (dont 28 000 Saint-Marinais) / Densité de population: 539 personnes/km2 / Langue : italien / Monnaie : euro
Les rencontres ne se planifient pas : elles arrivent. À Saint-Marin, cela se produit dès le premier jour. En roulant, j’aperçois du coin de l’œil une petite Fiat 500 sur un chemin. Je décide d’aller voir. Cela commence donc avec la rencontre de deux petites voitures âgées. Mais les voitures ont des propriétaires. Et c’est ainsi que je rencontre Lamberto Ghiotti et sa «Cinquecento» de 1973. Le début d’une aventure et d’une amitié.
Lamberto est accompagné de ses deux frères, Renzo et Giovanni-Italo. Lamberto et Giovanni-Italo construisent des arbalètes aux normes anciennes, le premier travaillant le métal et faisant les parties mécaniques, alors que le second s’occupe de tout ce qui est bois. Ce sont des armes redoutables, utilisées dans des compétitions nationales et internationales. À Saint-Marin, cela fait partie des grandes traditions du pays. Les compétiteurs – les «balestrieri» – s’habillent alors en accoutrements du Moyen-Âge. Lamberto est maître d’armes et ancien champion de tir. Les trois frères me donnent rendez-vous pour une séance de tir le samedi matin.
L’arbalète choisie est une arme lourde, pesant environ quinze kilos. Pour l’armer, on utilise une crémaillère à manivelles. Une fois enclenchée, l’arbalète exercera une force de plus de 500 kg sur la flèche ! L’arme est d’une ingéniosité mécanique remarquable, mais également une œuvre d’art.
Je tire un coup. Lamberto me fait une démonstration de tir, en m’expliquant de quelle façon tenir l’arme, le système de visée (très différente de celle d’un fusil), la façon de libérer la flèche. Il se concentre longuement. La cible se trouve à la distance règlementaire de 36 mètres ! Soudain, le coup part dans un claquement sec. Déjà de loin, on peut voir que la flèche s’est plantée près du cœur de la cible. On va vérifier. Un véritable coup de maître ! Je suis admiratif de la précision, aussi bien de l’arme que du maître de tir. La flèche s’est implantée profondément dans le bois. Il faut la retirer au moyen d’une pince. Jadis, ces projectiles étaient capables de transpercer l’armure des chevaliers ! On obture le trou avec un morceau de bois.
À mon tour maintenant. Je m’installe sur le chevalet, sous le regard des trois frères et quelques amis. Le moment est presque solennel. Lamberto me réexplique tout. «Tu me dis quand je peux enlever la sécurité» me souffle-t-il. Je me concentre. La cible, à 36 m de là, n’est plus qu’une petite tache au loin. Je me dis que probablement ma flèche ira se planter dans le bois loin de la cible. À mon signal, Lamberto enlève la sécurité. Je revérifie la double visée. Doucement, je déclenche… Clac ! C’est parti ! Les copains s’esclaffent : j’ai réussi un tir de champion ! On va voir sur place… En plein dans le mille ! On me félicite, on m’embrasse. Je remercie le maître. Il congratule l’élève. La matinée se termine autour d’une table amicale, avec des tagliatelle et des ravioli al dente, et un bon vin rouge san-marinais pour arroser le tout ! Quelle belle expérience ! Je me suis fait de véritables amis ici.
Corpus Domini. Aujourd’hui, une fête importante a lieu à Saint-Marin : la Corpus Domini, célébrée le jeudi qui suit la Trinité. À Saint-Marin, cette fête est à la fois religieuse et laïque, et le gouvernement tout entier y est impliqué. Je me poste dès 9h du matin sur la Piazza della Libertà, pour voir arriver les deux «Capitaines Régents» (co-présidents) de la République. Une demi-heure plus tard, c’est l’arrivée de tous les corps militaires et la cérémonie de la montée solennelle des couleurs. Les uniformes et les armes semblent remonter à la fin du 19ème siècle. À 10h, tout ce beau monde file à la Basilique Saint-Marin pour la Messe. Après quoi, retour à la Piazza della Libertà, où a lieu la bénédiction publique par l’évêque Andrea Turazzi, sous l’œil bienveillant, depuis le balcon du Palazzo Pubblico, des Capitaines Régents, leurs Excellences Andrea Belluzzi et Roberto Venturini. C’est fini ! L’apéro et les pâtes attendent… Tout le monde file à la maison !
Coureur automobile. Heureusement qu’il y a des amis ! Grâce à eux, l’improbable peut devenir possible… À cent mètres de ma maison luxembourgeoise habite un bon ami italien, Pier Luigi. Pier Luigi a un ami qui travaille dans une banque à Saint-Marin, Riccardo. Riccardo a un bon ami travaillant dans la même banque, Pier Paolo. Et Pier Paolo est un ami proche de l’un des Capitaines Régents de Saint-Marin, Andrea Belluzzi, avocat et homme politique saint-marinais, mais aussi pilote automobile semi-professionnel depuis 1990. Grâce à cette chaîne de l’amitié, j’ai pu être reçu par Leurs Excellences les Capitaines-Régents. Cerise sur le gâteau, j’ai obtenu l’autorisation de garer «Mini» sur la Piazza della Libertà, où se trouve le Palazzo Pubblico. Normalement, seuls les deux limousines des Capitaines-Régents y ont accès… Entrevue simple, agréable, cordiale. Je glisse à S.E. Andrea Belluzzi que je le défie de faire le tour des mini-États d’Europe avec sa Ferrari. Il me dévisage avec ses yeux étonnamment clairs, avant d’esquisser un sourire timide. À ma question en quoi un Saint-Marinais se distingue d’un Italien, il évoque la proximité et l’attachement du citoyen à l’État, qu’il compare avec la polis de la Grèce ancienne. Et l’attachement aux anciennes traditions, dont la défense est même règlementée par des lois.
Un état exceptionnel. La démocratie de cette petite enclave est unique au monde. Deux fois par an (le 1er avril et le 1er octobre), et ceci depuis 1243, le «Grand Conseil Général» (parlement) élit les deux «Capitaines Régents» qui assurent ainsi, pour une courte durée, le pouvoir exécutif du pays. Les 60 membres du Grand Conseil Général sont élus pour une période de 5 ans. Saint-Marin était le premier pays européen, bien avant les autres, à abolir la peine de mort dès le 16 mars 1848. Aujourd’hui, la capitale attire les touristes, grâce aux anciennes fortifications et les trois tours situées sur le Mont Titano, avec une vue spectaculaire sur les montagnes environnantes, la plaine côtière et la mer Adriatique toute proche, assurant ainsi 60% du PIB ! C’est ainsi que s’achève l’aventure de «Mini» à Saint-Marin. Si seulement j’avais pu être reçu avec la même gentillesse de la part des autorités dans les autres mini-États… Seule exception, mon entrevue avec le Président du Conseil National à Monaco, là encore grâce à un ami ! Mais je n’ai pas d’amis au Vatican, ni au Liechtenstein, ni en Andorre. J’en ai plein au Luxembourg, mais cela suffira-t-il pour être reçu, ne serait-ce que dix minutes, par notre Grand-Duc ou son héritier ? Je suis Luxembourgeois depuis un an. Cela aidera peut-être ?
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