Un pari insensé
En 1907, le journal parisien « Le Matin », persuadé que la voiture a un bel avenir devant elle et peut permettre à n’importe qui d’aller n’importe où, lance le défi suivant : « Qui veut rallier Paris à Pékin en automobile ? »
Le lendemain, le Marquis De Dion inscrit deux voitures de son usine de Puteaux. Personne n’est dupe : le constructeur est de mèche avec le journal et le raid est avant tout destiné à prouver au monde la supériorité de l’industrie automobile française en général et des « De Dion-Bouton » en particulier…
Dans les semaines qui suivent, une quarantaine d’équipes s’inscrivent pour le « Paris-Pékin ». Mais au cours des réunions préparatoires, la plupart se rendent compte des difficultés de l’entreprise. Peu iront jusqu’au bout du défi. En même temps, il est décidé, pour des raisons climatologiques (saison des pluies), de faire le voyage en sens inverse : le « Paris-Pékin » devient le « Pékin-Paris ».
Le 10 juin 1907, les cinq équipes restantes sont au départ dans la caserne française Voiron à Pékin. Il s’agit d’un raid et non d’une compétition. Les équipes sont tenues à la solidarité et l’entraide, surtout dans la première partie, inconnue, dangereuse et extrêmement difficile : de Pékin à Irkoutsk (la traversée des redoutables montagnes du nord de la Chine, le désert du Gobi en Mongolie et le contournement du lac Baïkal en Russie).
Les équipes avant le départ : 1. Jean Collignon ; 2. Georges Cormier ; 3.Ettore Buzzardi ; 4. Auguste Pons ; 5. Le Prince Scipione Borghese ; 6. Octave Foucault ; 7. Charles Godard ; 8. Jean Bizac
Les équipes sont composées ainsi :
– Le Prince Scipione Borghese avec son mécanicien Ettore Buzzardi et le journaliste Luigi Barzini à bord d’une « Itala » de 40CV
– Charles Godard et le journaliste Jean du Taillis (du « Matin ») à bord d’une « Spyker » hollandaise de 25CV – il est le seul à ne pas disposer de mécanicien
– Georges Cormier avec son mécanicien Jean Bizac à bord de la première « De Dion-Bouton » de 15CV [4] et Jean Collignon avec le journaliste italien Eduardo Longoni à bord de la deuxième « De Dion-Bouton »
– Auguste Pons avec son mécanicien Octave Foucault sur un ‘mototri’ « Contal » (un tricycle utilisé à l’époque pour faire des livraisons dans les grandes villes) [5]
Dès les premiers kilomètres, il est évident que le niveau de préparation et les intentions des concurrents ne sont pas les mêmes ! Borghese, un homme froid, méticuleux et sans aucun scrupule, avait minutieusement préparé son raid et distancera les autres dès le désert du Gobi. Son « Itala » arrivera triomphalement à Paris, au bout de 62 jours (incroyable exploit !), avec 20 jours d’avance sur les autres. À l’inverse, la progression extrêmement lente et pénible du triporteur « Contal » de Pons, peu adapté à l’aventure, exaspère les autres concurrents qui doivent l’attendre à chaque étape. À la première occasion, lors d’une vulgaire panne d’essence, Pons sera abandonné sur le bord de la piste du Gobi. Il manquera mourir de soif, mais sera sauvé par des chameliers mongols. Il retournera à Pékin, puis à Paris, dégoûté et amer. Les deux « De Dion-Bouton » resteront solidaires jusqu’au bout (c’est une véritable équipe d’usine), et arriveront ensemble à Paris fin août. Au milieu de tout cela, le personnage haut en couleurs de Charles Godard (avant le raid conducteur de moto sur le ‘mur de la mort’ lors de fêtes foraines, beau hâbleur et petit escroc financier) fait la course la plus folle. Manquant d’argent, de pièces et de carburant, il a failli terminer dans le Gobi comme Pons. Mais Cormier lui fait envoyer de l’essence dès qu’il a pris quelques jours d’avance : beau moyen de se débarrasser d’un autre concurrent redoutable ! Imprévu au programme : Godard rattrape l’équipe de l’usine de Puteaux ! En Russie, la « Spyker » connaît une panne d’allumage. Godard embarque sa voiture sur le Transsibérien, avance de 1200 km vers la ville de Tomsk, y fait réparer sa magnéto par un professeur russe, retourne vers le point de sa panne et se lance à la poursuite des autres avec une semaine de retard. Conduisant jour et nuit, faisant des étapes record – même par rapport à celles de Borghese – il rattrape une fois de plus les deux équipes « De Dion-Bouton ». Il aura montré par la même occasion l’incroyable solidité de la voiture néerlandaise (qui n’a connu qu’une seule petite panne au cours du raid !) et ses talents de conducteur. Autre qualité : celle de la solidarité. Alors qu’il pourrait encore, à ce même rythme effréné, rattraper Borghese (qui fait un détour par Saint Petersbourg pour festoyer avec ses amis aristocratiques) et arriver en vainqueur à Paris, il a l’élégance de rester avec les deux petites « De Dion-Bouton », plus lentes.
Le raid se termine de façon lamentable. Alors que les deux équipes de l’usine de Puteaux arrivent en fanfare à Paris (on considérera – à juste titre – que leur exploit vaut celui de l’Italien Borghese), la « Spyker » est conduite par un chauffeur envoyé par l’usine d’Amsterdam, car Charles Godard a été arrêté peu avant l’arrivée pour malversations financières. Il ne goûtera jamais les fruits de son incroyable prestation sportive.
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