(11) – Le Canada

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Impossible de raconter le deuxième pays au monde par sa superficie et nos 3000 kilomètres de route et 500 km de ferry à travers le Canada en une seule page… Quelques impressions.

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Je ne suis pas le seul à faire un voyage fou. Dans une ruelle de Vancouver, une voiture débarque avec toute une équipe: pilote, journaliste, caméraman, photographe… Ils tombent en arrêt devant “La Petite”. Sur la portière avant de leur voiture s’affiche ce qu’ils sont en train d’accomplir. “Tokyo to LA, the hard way”: de Tokyo à Los Angeles par le chemin difficile.

01030104Je souris finement: ils sont là avec une voiture sortie fraîchement d’usine (en fait, il y en a deux, plus un camion de secours), ne font même pas le tiers du chemin de “La Petite”, et ils s’en vantent?

 

0105Voyageurs au long cours.  Mais en voyant sur la portière arrière par quel chemin ils sont passé, je révise un peu mon mépris. De Yakoutsk à Magadan, le tristement célèbre “chemin des ossements”, ce n’est pas de la tarte! Il faut avoir lu le récit “L’échappée belle” d’Ewan McGregor et Charley Boorman pour apprécier… On se quitte. Ils reprennent le chemin du Sud, moi celui du Nord. Ils vont vers là d’où je viens, je vais là d’où ils viennent… Pourquoi l’humanité a la bougeotte? Je pense à ma mère, qui détestait les voyages. Elle était là, dans sa maison, entourée de ses plantes, s’affairant dans sa petite cuisine qui sentait toujours bon le prochain repas. «Pourquoi voyager?» disait-elle, «Je suis bien chez moi.» C’est également le beau message de “L’Alchimiste” de Paulo Coelho. Maman avait atteint la sagesse. J’en suis encore loin.

7625Nous rencontrerons d’autres voyageurs au long cours. Un homme en moto nous dépasse. Edmund Lawrenz vient de Dresde. Il se rend au Nord de l’Alaska, pour descendre ensuite jusqu’à Ushuaia: la Panaméricaine.

 

 

7588Il n’est pas le seul. Quelques heures auparavant, j’ai discuté avec Skip Adkins, ingénieur électricien retraité, qui fait le même chemin à bord de son camping-car confortable. Nous leur souhaitons bon voyage. Ils nous souhaitent la même chose. Un sourire. Une poignée de main. Edmund remet son casque. Skip réintègre la cabine de sa maison mobile. Je me plie en deux et me glisse derrière le volant de “La Petite”. Et c’est reparti. Vers le Sud! Vers l’Ouest! La nuit, dans mon lit à Beaver Creek, dernière localité canadienne, je passe en revue ces voyageurs. L’équipe du Tokyo-Los Angeles. Skip, le solitaire. Edmund, entreprenant son voyage initiatique. Peut-être qu’au même instant, Todd chez lui, Skip dans sa roulotte, et Edmund sous sa tente, se demandent ce qui a incité cet étrange prof de bio retraité à entreprendre un tour du monde à bord d’une vieille voiture minuscule?

 

2Autres rencontres.  Sur le ferry qui nous emmène de Port Hardy à Prince Rupert par le Passage Intérieur, je bavarde avec mon voisin. Tony Balding a passé une vie mouvementée dans le grand Nord. Travail, à l’âge de 17 ans dans une mine à Uranium City. «On avait tellement froid aux pieds qu’on mettait du poivre de Cayenne dans nos chaussettes! On dormait sous la tente. L’hiver, on était obligé d’accrocher nos chaussures la nuit: si on les laissait par terre, le lendemain on ne pouvait plus les récupérer, parce qu’elles était gelées solidement au sol…» Il travaillera dans d’autres mines, puis ouvrira un restaurant qui fait faillite. Après quoi il devient aiguiseur de scies jusqu’à sa retraite. Sacrée trajectoire. Et nos jeunes se plaignent?

 

20100917-7530On progresse bien. Nous atteignons Kluane Lake, miroir tranquille aux eaux cristallines. À Destruction Bay, nous refaisons un plein et buvons quelque chose de chaud. Un homme s’approche, un colosse aux yeux bleus. Bien sûr, il veut en savoir plus sur notre “Petite”. Il s’installe à notre table. Nous voilà bientôt engagés dans une discussion qui va bien au-delà de notre voyage: religion, science, politique, l’avenir du monde… Au cours de la discussion, j’apprends que Joel a beaucoup voyagé en Afrique. «Ah? Et qu’est-ce que vous y faisiez?» Il me donne sa carte de visite, sur laquelle il y a l’image d’une arme de guerre sur fond saharien, et, sous son nom, la phrase “Have guns, will travel”. «Oui, avoue mon gentil interlocuteur, je suis marchand d’armes. Je n’aime pas trop le terme, je préfère dire que nous nous occupons de la protection de nos clients. D’ailleurs, ce que je fais est parfaitement illégal dans ce pays, raison pour laquelle ma firme se trouve en Afrique du Sud.» On est soudain loin de nos considérations sur la place de Dieu dans l’évolution du vivant! Nous reprenons la route.

20100917-7538À peine quelques kilomètres plus loin, l’épave d’une Lincoln, objet insolite dans le paysage. J’en fais le tour. Quatre impacts de balles dans le pare-brise au niveau du conducteur… Joel, ce serait-il occupé de la protection d’un de ses clients?

 

 

20100914-7352L’automne en accéléré. À chaque jour qui passe, l’été s’éloigne et l’automne approche. Et à chaque kilomètre parcouru vers le Nord, cela se traduit par une lumière différente qui se pose sur les paysages et les objets. La végétation présente de plus en plus de teintes chaudes. C’est particulièrement vrai pour les épilobes qui bordent la route et dont le feuillage devient rouille et bordeaux. C’est aussi le moment, pour ces plantes, de confier leurs semences au vent. C’est la saison de reproduction avant la mort hivernale, comme c’était le cas pour les saumons observés plus au sud, lors de leur remontée suicidaire des rivières pour leur dernier acte: la reproduction. De plus en plus d’arbres, également, se parent de feuillages dorés et cuivrés.

20100918-7633Ce matin, “La Petite” était recouverte de givre. L’hiver n’est plus très loin… Nous sommes ici en plein pays de permafrost: le sous-sol reste gelé en permanence, il n’y a que la surface qui dégèle au profit de la brève chaleur estivale. Le paysage que nous traversons depuis des centaines de kilomètres maintenant est fait de petits étangs, de marécages et de millions d’épicéas, dont plusieurs sont complètement de guingois, leurs racines étant incapables de pénétrer assez profondément dans le sol pour les maintenir en place.

7622L’entretien des routes dans ce pays est une cause perdue d’avance. Le macadam est déformé en permanence. Les cantonniers canadiens font ce qu’ils peuvent et réparent, sachant parfaitement que ce travail de Sisyphe devra être recommencé l’an prochain. À chaque tronçon de travaux, un(e) cantonnier(ère) avec un panneau règle la circulation à chaque extrémité. Celle qui nous arrête avec le sourire s’appelle Kimberly. Lorsqu’elle retourne enfin son panneau “STOP” et que celui nous montre son côté “SLOW”, nous avons le droit de suivre la voiture “FOLLOW ME” jusqu’à la fin du tronçon en travaux, avec ses pelleteuses, ses bulldozers, ses rouleaux compresseurs. Ainsi, pendant chaque journée de travail, deux ouvriers doivent se tenir immobiles, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, à bêtement tourner un panneau “STOP-SLOW”… Et un autre fait bêtement la navette, du matin au soir, entre ses deux collègues, à bord de son pick-up arborant “FOLLOW ME”… Je préfère nettement notre système européen avec deux feux automatiques. Il est moins dégradant pour l’homme et certainement plus économique. Quoique… on a peut-être plus de chômeurs à cause de cela?

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