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En 1903, dix-huit ans à peine après la construction du premier automobile par Carl Benz, la plupart des gens étaient convaincus qu’il ne s’agissait que d’un jouet pour riches sans grand avenir.
Un médecin de 31 ans, Horatio Nelson Jackson, fit alors le pari qu’il arriverait à traverser les États-Unis en automobile. Le 23 mai 1903, il se mit en route au départ de San Francisco – avec une Winton – accompagné par Sewall K. Crocker, mécanicien et copilote. Ils arrivèrent à New York le 26 juillet. À l’époque, il n’y avait aucune route digne de ce nom dans le pays, et les autos étaient rares et confinées aux grandes villes et à quelques médecins de campagne excentriques. Pourtant, les constructeurs pullulèrent et l’on vit une multitude de marques apparaître et disparaître.
Les grands raids. Au début du siècle dernier, nombreuses furent les compétitions automobiles sur circuit. Les courses étaient spectaculaires. Les accidents également. Ces démonstrations attirèrent un public nombreux, mais n’étaient pas de nature à convaincre que l’automobile était une chose sérieuse. Ce n’est qu’en 1907, avec le premier grand raid automobile de Pékin à Paris, lancé par le journal parisien “Le Matin”, que l’on prouva que l’auto pouvait aller n’importe où. En 1908, le quotidien récidiva avec le New York-Paris, ce qui résultait en “La Grande Course” que nous essayons de suivre depuis plusieurs semaines maintenant.
Un exploit. Nous nous rendons à Reno, une ville sans grand intérêt: casinos, hôtels, possibilité de se marier dans l’heure dans une des multiples “chapelles” érigées à cet effet… Nous visitons le “National Automobile Museum”, et en particulier la “Harrah Collection”. Car en 1964, Bill Harrah, richissime collectionneur de voitures anciennes, acheta ce qui restait de la Thomas Flyer qui avait gagné la course New York-Paris. Il fit venir George Schuster à Reno. Ce dernier, qui avait 92 ans à l’époque, authentifia le véhicule après avoir examiné certains détails. La voiture fut alors restaurée, non pas à neuf, comme les autres véhicules de la collection, mais dans l’état dans lequel elle se trouvait à son arrivée à Paris, le 30 juillet 1908 : phare gauche brisée, pneus usés, couverte de boue… Bien entendu, je voulais voir cette Thomas Flyer mythique, dont nous suivons grossièrement la trace depuis bientôt 8000 km! Quelle différence avec “La Petite”! Je note les dimensions énormes des roues et la garde au sol qui en résulte. Je contemple les sièges dans lesquels l’équipe de 1908 a parcouru tant de kilomètres… Assis en plein air, ils étaient exposés au froid, à la chaleur, à la pluie, à la neige! Les sièges paraissent certes plus confortables que ceux de notre 4CV, mais nous, on est protégés des éléments au moins, si ce n’est pour quelques fuites lorsqu’il pleut fort. Il faut bien le reconnaître: traverser les États-Unis, en 1903 et en 1908, c’était encore un exploit!
Trafic. Quelle différence avec aujourd’hui! Le lendemain, nous reprenons la route pour la dernière étape de la traversée des USA. Nous descendons via Auburn vers San Jose. Les collines sont couvertes d’herbe archi-sèche. À cause de tous les détours depuis le début du voyage, nous atteignons les 8000 km – 1000 km de plus que ce qui était prévu jusqu’à San Francisco. Pas grave, on aura vu du pays! D’Auburn à San Jose, nous empruntons l’Interstate 80, énorme autoroute, à défaut des routes secondaires sur lesquelles nous voyageons d’habitude. On se retrouve bientôt sur une route à 10, parfois 12 voies, avec une circulation absolument délirante. Des viaducs se croisent sur deux, sur trois niveaux. En plus, en Californie, les automobilistes ne conduisent pas avec la courtoisie rencontrée dans le reste des États-Unis. On me dépasse à droite, à gauche, on klaxonne, on me coupe la route et quand je veux changer de voie et que je mets les clignotants, on n’en a rien à faire, et l’on ne me laisse pas la place. Il faut donc que je force mon chemin, que je jette la pauvre “Petite” devant les roues broyeuses des énormes 4×4 en priant que ça passe… L’automobile, un siècle à peine après les pionniers évoqués plus haut, rien qu’aux USA, c’est: 140 millions de voitures, 110 millions de camions, 1 million d’autobus!
Pétrole. Tout ce parc roulant a besoin de carburant. Énormément de carburant! Le pétrole a généré des fortunes et a bouleversé l’économie mondiale. Le premier puits à pétrole fut foré en 1859 en Pennsylvanie, et l’or noir devint rapidement un enjeu géopolitique.
Avec une consommation journalière de 20 millions de barils, les seuls USA consomment 25% des quelque 150.000 litres de pétrole que consomme le monde chaque seconde! Pas étonnant que les intérêts sont énormes! Assez grands pour générer des conflits. Les U-Boote torpillaient les pétroliers des Alliés. Les Alliés bombardaient les puits de pétrole de l’Axe à Ploesti. En Perse, le premier ministre Mossadegh nationalisa les gisements pétroliers en 1951, ce qui conduisit à un conflit avec les Anglais. Il y eut la crise de Suez. Il y a l’Irak… Le Moyen-Orient est devenu une poudrière financée par les pétrodollars. À San José, j’achète le mensuel “The Atlantic”. Dans un article d’une dizaine de pages, le journaliste Jeffrey Goldberg y expose pourquoi il y a une très forte probabilité que l’aviation israélienne lancera une attaque massive contre les installations nucléaires iraniennes dans les 12 mois à venir. Je résume l’article: si les États-Unis ne le font pas, Israël sera forcé de le faire. Car un Iran fanatisé, se dotant de l’arme nucléaire sera la plus grande menace que le peuple juif aura connue depuis Hitler.
Une survivante. Beate Mohr, à San Francisco, est une rescapée des camps de la mort. Beate est ma plus vieille amie, dans les deux sens du terme. D’abord, je l’ai toujours connue, car elle était une amie très proche de mes parents qui m’a même donné le biberon. Ensuite, elle a 93 ans, ce qui semble absolument incroyable quand on la regarde, mais surtout quand on voit à quel point elle est pleine de vie! Elle a une mémoire extraordinaire, a gardé le sens de l’humour et de la répartie que je lui ai toujours connue. Elle conduit encore, et de main de maîtresse, sa voiture à travers les rues et les collines de San Francisco! Elle venait régulièrement en Europe, jusqu’à récemment. Car maintenant elle n’aime plus prendre l’avion: elle a une prothèse de la hanche, avec des parties métalliques, ce qui lui vaut – malgré son grand âge – d’être fouillée au corps, mains levées, comme si elle était une criminelle ou un terroriste potentiel. Traitement insupportable pour cette ancienne déportée, qui lui rappelle de mauvais souvenirs… Une période de sa vie dont elle préfère ne pas parler: «C’est le passé, je regarde plutôt vers l’avenir!» Venant de la bouche de cette nonagénaire extraordinaire, c’est une belle leçon d’optimisme et de positivisme.
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