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L’avion commence sa descente et survole la ville de Kanazawa: première vision du Japon, mélange de traditionnel et de moderne. Je passe l’immigration, la douane. Beaucoup de sourires, plein de courbettes, une chorégraphie de gestes invitant à passer ici, ou là. Une langue que je ne comprends pas, tout comme personne ici ne semble comprendre l’Anglais.
Je veux changer de l’argent. Je sors une liasse de dollars canadiens, qui me restent du Yukon et de la Colombie-Britannique… On secoue la tête (accompagné de sourires, courbettes) et l’on me dit: «AmeLican DoRRaLs». Il me reste 44 US$. On me les convertit en yens. Ouf! J’ai de quoi me payer le taxi vers l’hôtel que j’ai réservé à Komatsu. Le montant affiché par le taximètre grimpe de façon vertigineuse et une fois arrivé à l’hôtel, je suis délesté de la presque totalité de mes yens. Réception de l’hôtel: on ne parle pas l’Anglais, mais sourires, courbettes. Chambre 836 est minuscule, le lit monoplace en occupe les trois-quarts. Mais il y a une petite salle de bains. Sur le lit: un kimono et un oiseau en origami. Par terre, des pantoufles. Je me rafraîchis et pars à la recherche d’un guichet automatique pour me refaire du liquide avec l’une de mes cartes de crédit. Le premier ATM me refuse les trois cartes présentées: non valides. Je continue ma promenade à travers les rues nocturnes jusqu’à la gare ferroviaire. Un autre ATM, aussi intransigeant que le premier: on ne parle pas de langue étrangère, on n’accepte pas les cartes de crédit étrangères! Le guichet automatique reste immobile, ni sourire, ni courbettes… Et moi, que vais-je devenir sans argent dans un pays dont je ne parle même pas la langue? Je retourne à ma chambre et m’assois sur le bord du lit. J’ai faim, j’ai soif. Mais mon porte-monnaie ne contient plus que quelques pièces de 100 yens (moins d’un euro) et un petit papier, souvenir du “fortune cookie” reçu dans un restaurant chinois à Vancouver où j’ai dîné il y a quelques semaines: «A THRILLING TIME IS AHEAD FOR YOU». Sans aucun doute: je suis analphabète et sans le sou, perdu dans ce pays étrange; ça va être excitant à coup sûr! Est-ce que seulement je vais retrouver ma “Petite” à Tokyo, après le week-end? Dans l’immédiat, comment calmer ma faim? J’ai préparé un thé japonais avec l’unique sachet de thé qu’il y avait dans la chambre, à côté d’une bouilloire électrique. Il avait le goût d’une infusion d’herbe fraîchement coupée, et il n’y avait ni sucre, ni petit gâteau, ni bonbon…
Il est après minuit et je tourne en rond dans mon lit, ne trouvant pas le sommeil… Je rallume, prêt à bouffer n’importe quoi. Pourrais-je sucer le sachet de thé qui repose dans un cendrier? Je contemple les claquettes sur le sol et j’ai des visions de Charlie Chaplin dévorant ses chaussures dans “La ruée vers l’Or”. L’oiseau origami attire mon regard, mais j’abandonne l’idée: son papier ne vaut pas une cuisse de poulet. Je me recouche. Et je finis par trouver le sommeil.
La douane
Lundi matin. À ma sortie de l’ascenseur, je suis accosté par Mlle. Mitsuko Kobayashi (sourires, courbettes) et M. Shouhei Takahashi (sourires, courbettes) de la firme d’import-export Maruwn International Freight. C’est eux qui s’occupent, depuis deux semaines déjà, de l’importation temporaire de “La Petite”. Miss Kobayashi parle très correctement l’Anglais. Il leur faut une photocopie de mon passeport avec visa d’entrée. Pas de problème. Et la souche de la douane à Komatsu, avec ma déclaration d’entrée de “mes articles non accompagnés”. «La QUOI?» Elle répète, m’en montre un exemple. Je me souviens, j’ai rempli une telle souche en arrivant. La dernière question disait: «Avez-vous des articles non accompagnés à déclarer?» Or, j’en avais plein. Les caisses sur le toit de “La Petite”, les affaires à l’intérieur, et les pneus d’hiver et mes vêtements polaires que Cargolux doit acheminer avant mon départ pour la Russie… Je demandais donc à l’agent de douane, une petite jeune femme en uniforme impeccable (sourires, courbettes), si je devais cocher “oui” (auquel cas, je devais remplir deux exemplaires du formulaire), ou “non”. Elle m’avait dit que “non” irait… un malentendu qui va me coûter cher. Miss Kobayashi lève les yeux au ciel, le sourire disparaît, et elle lâche un «C’est pas vrai!» japonais. Elle consulte son collègue. «On va écrire une lettre à la douane que vous devrez signer» me dit-elle. «Je vous l’apporterai à 14 heures.»
Je visite Tokyo. Retour à l’hôtel. Miss Kobayashi m’attend. Elle me tend la lettre que je dois signer. Celle-ci comporte des termes comme «Je demande humblement pardon aux autorités douanières d’avoir enfreint les règles» ou encore «J’implore indulgence et compréhension» et finalement «…suis prêt à acquitter les droits d’importation si cela s’avère nécessaire.» La dernière phrase m’effraie: payer la taxe d’import sur ma propre “Petite” alors qu’elle quittera le pays dans quatre semaines? Miss Kobayashi me rassure: «Ce n’est qu’une formalité.» J’espère. «On peut donc aller chercher la voiture à l’aéroport demain?» «Oui», me répond-elle. Petite pause. «Mais si vous voulez que je vous dise la vérité…» «Je préfère!» «En fait, ça va prendre un peu plus de temps. Après-demain.» Étrange culture où un “oui” cache un “non”…
Les cantonniers japonais
J’ai fini par récupérer “La Petite” et cela fait des semaines que je roule à travers le Japon. À chaque chantier (et il y en a beaucoup), les cantonniers sont habillés à l’identique. Combinaison de travail, harnais réfléchissant, casque: on dirait des bonshommes Lego! La seule différence entre ces bonshommes sortant du même moule, c’est la couleur de la combinaison et de la bande réfléchissante (blanche ou jaune fluo) parfois plusieurs couleurs au sein d’un même chantier, suivant la tâche à accomplir.
Grosso modo, d’après ce que j’ai pu apercevoir, il y a trois tâches différentes: le(s) contremaître(s), les travailleurs, et l’équipe de sécurité. Le(s) premier(s) se reconnai(ssen)t à la chemise et la cravate visibles par dessus le haut de la combinaison entrouverte, le téléphone portable et l’appareil photo. Les seconds manient une pelle, ou un balai, ou encore conduisent pelleteuse ou camion. Les hommes et femmes de la sécurité sont majoritaires sur chaque sentier. Ils ne fichent rigoureusement rien, mais font une figuration colorée. Comme en Amérique, il y en a un de chaque côté du chantier, qui signale aux automobilistes s’ils doivent s’arrêter (agitation d’un grand drapeau rouge, avec un idéogramme signifiant «STOP», je suppose), ou s’ils peuvent avancer (agitation d’un grand drapeau blanc).
Puis il y a des porteurs de drapeaux identiques, tous les vingt mètres environ, tout au long du chantier. À chaque site de travaux, je longe donc un véritable ballet de drapeaux qui brassent l’air savamment, et j’ai droit à la courbette exécutée par chacun des figurants, geste de soumission rituel, qui signifie, en l’occurrence: «Excusez-nous de vous demander pardon pour le désagrément causé par notre modeste chantier.» Je pardonne volontiers, le spectacle est comique.
La chaise électrique
Culture différente… Abordons un sujet trivial. Il faut bien faire ses besoins… Dans les hôtels que j’ai fréquentés, les WC sont équipés électriquement! Quand on s’assied sur le siège, la lunette est chauffée! Bien sûr, on peut régler sa température. Mais cela ne s’arrête pas aux simple chauffage de vos fesses sensibles. Un tableau de bord permet d’actionner un bouton “douche” (pour hommes) ou “bidet” (pour femmes). J’ai essayé les deux. Dans le premier cas, un mince jet d’eau trouve avec précision votre trou du cul et le rince vigoureusement. Force du jet et température réglables à volonté. Cela nettoie bien mieux que notre papier de toilette, et c’est bien plus hygiénique. Il n’y a plus qu’à sécher. Quant au “bidet”, il est dirigé plus vers l’avant, et doit rincer, j’imagine, de façon efficace les tendres méandres des parties féminines.
Mais il y a encore une chose, que je trouve absolument géniale, et que le monde entier devrait adopter. C’est tellement simple! Pourquoi n’y a-t-on pas pensé avant? Chacun sait que lorsqu’on a tiré la chasse, le réservoir se remplit de nouveau. Au Japon, le couvercle du réservoir des WC est creux, avec un trou, et le remplissage se fait par une sorte de robinet situé au-dessus: on peut donc se laver les mains pendant le remplissage du réservoir avec la même eau qui servira à tirer la chasse la fois d’après. Si tout le monde avait ce système-là, combien de milliards de litres d’eau douce économiserait-on par an?
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