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À Irbit, dans l’Oural, on a trouvé une chambre dans l’hôtel local. Bâtiment en béton peint, dans le plus pur style soviétique. L’enregistrement auprès de la dame à la réception s’avère des plus compliqués. Elle ne peut pas me faire la “registratia”, mais exige quand même celle de l’hôtel précédent.
Je dois signer le même papier deux fois, et je dois payer 2 roubles (5 centimes d’euro!) pour la taxe touristique. En fait, je dois la payer deux fois, une fois pour le 4 janvier et une fois pour le 5 (car je serai encore là après minuit!). Et la dame, consciencieuse, m’établira deux reçus en bonne et due forme, pour la tout de même très modique somme de 10 eurocentimes… Nous arrivons dans la chambre. Salle de bains vétuste, peinture qui s’écaille. Lorsqu’on veut prendre une douche, la moitié de l’eau ne parvient pas à la poire, mais s’écoule mollement du tuyau crevé sur le sol. La tablette devant le miroir pendouille à un angle de vingt degrés: on ne peut rien poser dessus. Dans la chambre, le chauffage central ne fonctionne plus, mais un radiateur électrique comble la lacune. Il est branché sur le secteur. 220 volts: c’est affiché partout, de façon redondante et parfaitement inutile. J’énumère à Ioulia tous ces détails que je trouve hilares! Je lui ouvre les yeux sur quelque chose qu’elle n’avait jamais remarqué. Elle part avec moi dans un fou rire qui se mue soudain en pleurs. Elle s’apitoie sur son pays, sur l’image qu’il donne aux étrangers. Pauvre Ioulia. Pauvre Russie.
VISA
Nous arrivons à Iekaterinbourg et nous nous rendons à l’hôtel “Grand Oural”, le même où j’avais séjourné en 2007. Ce colosse, situé en plein centre ville, est également héritier de l’ancien régime. Le hall d’entrée n’a pas changé depuis 2007 (ou depuis 1960, c’est comme on veut). Je veux payer avec ma carte VISA. «Impossible», dit la dame de la réception. Je m’en étonne, car sur la porte d’entrée, acajou et laiton très chics, un autocollant affiche justement les cartes de crédit acceptées par l’établissement, dont la mienne. On lui dit que dans ce cas, il vaut mieux enlever l’autocollant trompeur. Elle répond que «Normalement ça fonctionne, mais que, justement aujourd’hui, ça ne fonctionne pas.» En Russie, beaucoup de choses fonctionnent, sauf lorsqu’on en a besoin… Nous avons le choix entre la chambre “de liouxe” à 3500 roubles (90 euros), avec douche et toilette, ou alors la chambre ordinaire au prix de 1400 roubles (35 euros), avec toilette à l’étage et douche cinq étages plus bas. On opte pour la deuxième, question de faire quelques économies.
L’ascenseur s’arrête à un demi étage: nous devons encore monter un petit escalier pour arriver au cinquième. La “déjournaya”, la dame responsable de notre étage, se trouve encore un petit escalier au-dessus. Je monte nos nombreux bagages pendant que Ioulia va chercher la clef. Le couloir est interminable, parquet et tapis, les portes en bois vernis, les numéros des chambres en chiffres dorés. Ça, ce sont les chambres de luxe. À noter quand même qu’au plafond, seule une lumière sur trois fonctionne. Nous arrivons dans notre couloir. Plus de tapis, portes en peinture grise qui s’écaille, chiffres noirs, et seulement une lumière sur cinq qui éclaire la scène, digne d’une prison. Nous occupons la cellule 528.
À l’intérieur un joli petit lavabo très rural. Dès qu’on ouvre le robinet d’eau chaude, une forte odeur d’œufs pourris envahit la pièce. J’inspecte les toilettes des hommes, surréalistes, avec des tuyauteries fantasques. À côté du compartiment toilette en métal blindé, un lavabo solitaire. Dans un coin, un sac-poubelle. J’ai l’impression de me trouver dans un tableau de Magritte (“Ceci n’est pas un lavabo”), ou alors dans une gymnopédie de Satie (“Sanitaire en lévitation”)… Magnifique!
Nous nous couchons dans notre cellule, qui ressemble à un long tiroir dans lequel nos deux lits se suivent comme les wagons d’un train…
Vodka
Le long de la route, un hôtel peu cher tenu par des Caucasiens. «Des gens travailleurs», m’informe Ioulia. Et en effet, le couloir, notre chambre, montrent des signes d’entretien. Mais le lendemain matin, je déchante quand même un peu… Le Caucasien de service, un jeune homme basané de petite taille, a trop picolé. Et il est venu demander cent roubles à Ioulia, pour pouvoir s’acheter une nouvelle dose de vodka. Ioulia, grand cœur mais parfois un peu naïf, lui a fait entrevoir que je lui cèderais peut-être la petite bouteille de vodka que nous venons d’étrenner hier soir. Je refuse. Je n’ai pas envie de contribuer à la pérennité de sa cuite. «Mais chez nous c’est normal, m’explique Ioulia, quand on a trop bu, on se guérit en buvant à nouveau.» Je lui explique que cette “guérison” est une illusion. Le jeune homme, la langue épaisse, insiste. Je lui mets devant ses responsabilités de Musulman et je maintiens mon refus, ferme. Pendant que je prends ma douche dans un local décoré de peinture écaillée qui attend encore l’entretien caucasien, l’ivrogne vient narguer Ioulia en lui exhibant sa nouvelle bouteille de vodka: «Tu vois, j’en ai trouvé quand même!» Il ne manque plus que le «nananèèère!»… Nous descendons nos bagages. Le petit Caucasien titube et sa langue a encore enflé de plusieurs centimètres quand il nous adresse une parole d’adieu avant de s’effondrer à nouveau dans son fauteuil devant la télé.
Au Tatarstan
Près d’Izhevsk, nous dénichons un motel. Nous y sommes accueillis chaleureusement par Veronika et Pavel, dont nous sommes les seuls clients. Il y a une banya, pour moi l’occasion de détendre mes muscles douloureux et de réchauffer mes pieds gelés. Notre chambre dispose d’un lit double et d’un canapé-lit, également pour deux personnes. Pour une fois, nous avons une chambre spacieuse et des lits grandeur nature!
«Prends-la en photo, me supplie Ioulia, et montre sur ton blog qu’en Russie il n’y a pas que des chambres miteuses!» Puis elle m’entraine vers la salle de bains, avec sa douche de l’aire spatiale et son WC nickel-chrome. «Et montre ça aussi, s’il te plaît, même s’il n’y a pas de tuyaux rouillés et des murs moisis qui s’écaillent.» Je m’exécute. Pour faire plaisir à Ioulia, pour rétablir un peu de justice par rapport à la sévérité de mes photos précédentes.
Mais je maintiens que ce grand pays souffre d’un manque d’entretien chronique. Cela se voit dans les hôtels, à l’état des routes, aux paysages urbains… Le grand intérêt de la Russie, ce sont les rencontres humaines! Et la Sibérie en hiver, celle que tout le monde m’avait si fortement déconseillée…
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