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Juste avant de prendre le volant… New York ! Je suis arrivé ici, il y a deux jours. “La Petite” arrivera aujourd’hui. Elle aura parcouru les premiers 6300 km de notre périple – du Findel à JFK – en l’espace de quelques heures seulement, dans le ventre d’un Boeing de Cargolux. La partie la plus facile…
“La Petite”… C’est le nom affectueux que j’ai donné à ma minuscule Renault 4CV, cette première voiture populaire française d’après guerre, qui vit le jour en 1946, tout comme moi, son heureux propriétaire. Mais qu’est-ce qui prend un prof’ de biologie à la retraite de vouloir voyager autour du monde avec une voiture vieille d’un demi-siècle ?
Mongolie, le 8 août 2008 : une petite voiture se trouve à côté d’un stupa perdu dans l’immensité du désert de Gobi. C’est le jour de l’ouverture des Jeux Olympiques à Pékin. Elle aurait dû se trouver dans la capitale chinoise, à 700 km de là. C’est écrit sur le capot et sur les portières : « Paris-Pékin, 07/07/07-08/08/08 ». Mais en raison des Jeux, les Chinois ont décidé de fermer la frontière à toute circulation automobile. De toute façon la 4CV est en bien mauvais état.
C’est qu’elle en a fait du chemin… Pendant l’été de 2007, elle a parcouru plus de 11 000 km, de Paris au Lac Baïkal en Sibérie. Et pendant l’hiver de 2008, elle a sillonné les étendues glacées du lac à travers de rudes paysages d’une beauté polaire indescriptible. La dernière étape, sur les terribles pistes de Mongolie, où même des 4×4 se cassent les dents, a été la plus difficile de toutes… Je me tiens à côté de la 4CV avec Naraa, une Mongole, mon guide dans le désert.
C’est la fin d’un périple de plus de 16 000 km, au cours duquel la 4CV s’est métamorphosée. De simple objet mécanique, elle est devenue, pour les milliers de personnes qui ont suivi son aventure sur Internet, un personnage : “La Petite”. Ce jour-là, j’écrivais dans mon journal:
« Je m’approche du stupa, que je commence a contourner dans les sens des aiguilles d’une montre, en actionnant les moulins a prière. Je fais alors un vœu et une promesse : “Petite”, jamais je ne t’abandonnerai ! “Petite”, je te guérirai de tes blessures ! Tu auras un châssis neuf, une direction neuve, on révisera ton moteur, on remettra en état ta carrosserie qui a tant souffert. Et nous vivrons ensemble d’autres belles aventures… Les moulins à prière tournent, et de chaudes larmes coulent sur mes joues. Il est de coutume, lorsqu’on fait un vœu auprès d’un stupa, de laisser un petit objet en offrande. Toujours en pleurant comme une Madeleine, je me précipite vers la voiture et plonge sous mon siège. D’un sac en plastique, je sors une petite boite noire et bleue. Elle contient un roulement conique tout neuf, merveilleux bijou d’acier. Je retourne auprès du stupa, et dépose délicatement cet objet insolite parmi les allumettes, les osselets, les bonbons et autres offrandes qui s’y trouvent déjà. Naraa, également en pleurs, allume un bâtonnet d’encens… »
De cette promesse faite dans le désert, est née l’idée de l’aventure suivante : faire le tour du monde, de New York à Paris, dans le sillage de cette autre grande course automobile, qui eût lieu en 1908. Faire le tour du monde avec une vieille voiture peut sembler incongru… Pourquoi ne pas le faire avec une 4×4 moderne, plus spacieuse, plus confortable, plus fiable ? Avec la clim’ lorsqu’il fait chaud et un chauffage qui fonctionne, pour traverser la Sibérie par moins trente ? Ou alors, s’il faut vraiment que ce soit en ancienne, pourquoi pas en 2CV ou en 4L, avec leurs suspensions à toute épreuve, leur traction avant si efficace ?
En voici la raison. En 1965, dernière année de ma scolarité, j’habitais un petit village. Aller au lycée à Dijon par les transports en commun s’avérait trop compliqué. Mon père m’acheta donc ma première voiture, une… 4CV d’occasion datant de 1953.
En 2003, je me souviens soudainement de ma petite 4CV bourguignonne. Par nostalgie, je décide de m’en chercher une. Bientôt, j’avais trouvé mon bonheur : “La Petite”, datant de 1959 ! Delphine, son ancienne propriétaire, avait les larmes aux yeux en me voyant partir vers le Luxembourg au volant de ‘sa’ “Petite”. En 2004, nous avons parcouru la France du Nord au Sud en collant au plus près à la ligne mythique du méridien de Greenwich, de la Normandie aux Pyrénées. Le voyage fut un succès, “La Petite” catalysant les rencontres. Il faut dire qu’avec sa calandre si souriante, tout le monde voulait faire sa connaissance ! Un an plus tard, encouragé par ce premier voyage, j’entrepris de descendre la Nationale 7, de Paris à Menton. Pour le reportage que j’en fis, j’avais acheté de vieilles cartes postales du trajet. Pour la première fois je mettais en scène “La Petite”, comme le nain de jardin dans le film “Amélie Poulain”, aux mêmes endroits que mes cartes anciennes. Pour le retour, du Palais Princier de Monaco au Palais Grand-Ducal de Luxembourg par les Alpes, le chemin passa par dix cols alpins de plus de 2000 m, dont le plus haut d’Europe, le col de la Bonette (2802 m). “La Petite” venait de gagner ses titres de noblesse.
La suite, c’était donc le “Paris-Pékin”, devenu le “Paris-Gobi”. Un voyage fabuleux de 16 103 kilomètres. Et après ça, on voudrait que je fasse le tour du monde avec une autre voiture ? “La Petite” fut rapatriée en container. Elle a été remise en état par une équipe d’élèves du Lycée Technique du Centre à Luxembourg.
À l’heure où j’écris, elle survole donc l’Atlantique. Dans quelques jours, nous partirons de Times Square, pour 32.000 kilomètres de route et d’aventure.
Tout comme les concurrents de la “Grande Course” de 1908, quand “Le Matin”, en collaboration avec le “New York Times”, avait lancé un défi encore plus fou que le “Paris-Pékin” : un raid automobile de New York à Paris en hiver, avec traversée du détroit de Béring vers la Sibérie. Six équipages étaient au départ à Times Square le 12 février 1908. Trois voitures françaises et une Züst italienne, une Protos allemande et une Thomas Flyer américaine.
La Sizaire-Naudin fut contrainte à l’abandon dans un blizzard à 75 kilomètres de Times Square. La Motobloc s’arrêta pour toujours à Carroll, dans les plaines immenses de l’Iowa et la prestigieuse De Dion-Bouton fut retirée de la course lors de sa traversée du Japon. Les Françaises, favorites au départ, manquaient donc cruellement à l’arrivée. Le 26 juillet 1908, les Allemands furent les premiers dans la Ville Lumière, mais pénalisés pour avoir emprunté le train du Utah à Seattle. C’est la Thomas Flyer, arrivant quelques jours à peine après les Allemands, qui fut déclarée vainqueur de ce qui allait entrer dans l’histoire comme “La Grande Course”. Les Italiens arrivèrent quelques semaines plus tard.
Alors que le Pékin-Paris a été refait à maintes reprises, avec des voitures modernes et anciennes, personne n’a relevé le défi du New York-Paris depuis 102 ans. Pour quelle raison ? J’ai, dans mes bagages, les récits originaux de 1908. Celui de l’Oberleutnant Hans Koeppen de l’armée impériale allemande qui mena la Protos, et celui du journaliste Antonio Scarfoglio, de l’équipe du Züst. Les deux se lisent comme l’Odyssée. Des conditions invraisemblables. Des luttes acharnées, contre les éléments, contre une mécanique souvent rebelle. Et je commence à me poser des questions. “La Petite”, qui a vu le jour à mi-chemin, exactement, entre la folle course de 1908 et aujourd’hui, sera-t-elle à la hauteur de la tache à accomplir ? Et le fait qu’elle soit française n’est-il pas de mauvais augure ? Et moi-même, serai-je capable de faire face à ce qui nous attend ? Les six équipages de 1908 étaient composés de 18 hommes : aventuriers, mécaniciens, militaires… Le plus jeune avait 19 ans et le plus âgé 43, la moyenne d’âge se situant à 28 ans. Moi, je fêterai mes 64 ans en cours de route… À côté de moi se trouveront successivement : une étudiante en biologie, mon épouse, un ami d’enfance, une infirmière française, une prof d’anglais japonaise, une traductrice russe et peut-être un ambassadeur… Tout comme moi, mes compagnons de route ne sont pas des durs à cuire. À quelques jours du départ, le doute m’envahit…
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