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Whidbey Island, Washington. Après un zigzag de plus de 10.000 km à travers les États-Unis, nous en voyons la fin. Demain, nous entrerons au Canada. Nous sommes les invités de Jeanne Wilson, née Jeanne Ernst. Décidément, je ne fais que rencontrer des dames qui ne font pas leur âge!
Jeanne, un petit sourire moqueur, est née avant la deuxième guerre mondiale à Useldange. Elle se souvient très bien de l’occupation allemande du Grand Duché:
– À l’école, nous étions obligés d’apprendre par cœur toutes ces chansons nazies! En 1956, j’ai épousé un Américain et j’ai vécu aux États-Unis depuis. J’adore ce pays, je ne regrette pas du tout l’Europe.
N’empêche qu’elle se rendait régulièrement à un déjeuner de femmes originaires d’Europe: “European Women”. Mais pas pour longtemps:
– L’autre jour, l’une d’entre nous levait le verre en disant: “Aujourd’hui c’est SON anniversaire!” Je voulais savoir l’anniversaire de QUI… “Mais, d’Adolf, bien sûr!” On était le 20 avril… Je n’ai plus jamais remis le pied dans ce cercle de dames!
Depuis notre départ de New York il y a six semaines, j’ai traversé dix-neuf états différents. En traversant ce pays immense d’Est en Ouest, j’ai essayé d’ouvrir les yeux et de trouver une réponse à la question: “Qu’est-ce qu’un Américain?” Ou plutôt: “Quelles sont les différences entre Américains et Européens?” La réponse à cette question complexe continue de m’éluder. Est-ce que Jeanne, qui est des deux bords, peut éclairer ma lanterne? Assis à sa table généreuse, on aborde le sujet. Sa fille Tessa, 46 ans, qui est née ici, contribue son point de vue. Voici un résumé de nos discussions.
Gentillesse. Les Américains sont gentils. Et polis. Et conviviaux. Partout, on nous aborde avec la même courtoisie formelle. Ici, on ne passera pas avant son tour. Ici, on vous demandera toujours comment vous allez. On utilise souvent les mots: “Excusez-moi” et “Merci”. Que c’est agréable! Vous éternuez et une horde d’inconnus vous dira: “À vos souhaits”. Dans les restaurants, la serveuse vous demandera si tout va bien. Vous dira qu’en cas de problème, vous ne devez pas hésiter à… Vous adressera de larges sourires, comme de toute façon tout le monde sourit ici. L’anatomie faciale de l’Américain diffère de celle de l’Européen. La différence: cet éternel sourire Colgate. Ça sent le convenu, le superficiel. Vous savez très bien qu’en grattant un peu le vernis, l’Américain s’en fout si votre bifteck est bon ou non. Mais ça fait partie de leur culture de gentillesse. Cela peut avoir des conséquences sur les pourboires aussi… (entre 15 et 20% obligatoires!). Cette gentillesse, c’est du cinéma. Le serveur ou le guichetier grognon bien de chez nous est plus honnète: il n’aime pas son boulot et il le montre. Peut-être que je préfère le sourire artificiel. Il est moins authentique, mais certes plus agréable…
Ouverture. Les Américains sont donc très ouverts et conviviaux, mais ils ont une vision très limitée du Monde. Il y a les États-Unis et la langue anglaise. Existe-t-il quelque chose au-delà? Y a-t-il d’autres langues? On parle de l’Afghanistan, d l’Iraq… Car on y a envoyé le fils, le frère, le mari, le copain… Nous, Européens, avons tendance à rigoler des Américains qui ne savent pas exactement où se trouve le Luxembourg ou la Belgique. Mais honnêtement, savez-vous où se trouve l’Idaho (216.632 km2, 1,55 millions d’habitants) et que sa capitale s’appelle Boise?
Obésité. On n’en croit pas ses yeux. La culture du fast-food (ou du nefast-food) est omniprésente. Des gens se promènent dans la rue avec leur gobelet en carton, recouvert d’un couvercle en plastique. On boit en allant au travail, en revenant de l’école, en se rendant au cinéma, dans le cinéma. Ce gobelet existe en trois dimensions “small”, “medium” et “large”. Aux yeux de l’Européen, le premier est déjà immense. Ne parlons pas des deux autres… Dans les restaurants, que ce soit le MacDonald ou le restaurant chic, les portions sont gigantesques. Nous avons du mal à terminer notre bifteck. L’Américain l’engloutit, arrosé de Coca, et n’hésite pas à commander un grand dessert derrière… En parlant de derrière, je n’en ai jamais vu d’aussi gros, d’aussi grotesques. Et les ventres, et les cuisses, et les bras! De jeunes femmes, des adolescentes, avec un joli visage et déjà un immense corps de cochon rose, la démarche hésitante… Il en résulte des statistiques alarmantes sur le diabète, l’hypertension, les problèmes cardiovasculaires, certains cancers… En France, 10% de la population est atteint d’obésité. Aux États-Unis, ils sont 30%! Il est vrai qu’en Europe, ce pourcentage s’accroît, alors qu’aux USA il a tendance à se stabiliser.
Obéissance. Les Européens ne sont pas très obéissants. Il faut que le gendarme fasse très peur pour qu’on s’arrête au feu rouge, pour qu’on respecte les stops et les lignes jaunes. Il faut installer des radars pour que l’on s’en tienne aux vitesses maxima. Pour l’Américain, la question ne se pose pas: “C’est la loi”. Du coup, l’Américain est un automobiliste pépère, qui s’arrêtera, com-plè-te-ment!, à chaque stop, même s’il est manifeste que personne ne vient ni de la gauche ni de la droite, et que la route est parfaitement déserte. Je les trouve bêtes et obéissants, ces Américains de la route, sauf en Californie, où ils conduisent sans scrupules. Mais qu’est-ce que c’est agréable, tout de même, cette courtoisie à chaque intersection, ou la marge énorme que me laissent ces camions gigantesques en doublant “La Petite”! N’empêche que la mortalité sur la route est plus élevée aux USA qu’en Europe!
Patriotisme. On est frappé par le nombre de drapeaux américains: devant les maisons, sur les voitures, un peu partout. Et des cocardes tricolores, qui ornent portes et fenêtres, la devanture des magasins. L’Européen moyen ne sortira son drapeau national qu’à l’occasion de la fête nationale. Certains le feront à l’occasion d’un tournoi de football. En Amérique, il semble que c’est fête nationale tous les jours! On est Américain, et fier de l’être. On le revendique. Haut et fort. On aime ce pays de liberté d’opinion. Mais cette liberté a un prix.
À Randle, je photographie une bâtisse recouverte de slogans ludiques. Sauf que, si on y regarde de près, il s’agit de slogans pas si innocents que ça…
Religion. Tout comme ces panneaux anti-avortement qui bordent les routes du Middle West. Ou ces écoles qui ne permettent pas l’enseignement de l’évolution. Ou cette Bible, mise par une main providentielle dans ma chambre d’hôtel, où que j’aille. Ou ces Mormons, qui veillent sur l’âme de ceux qui n’ont pas été baptisés. Car un bon patriote est aussi un bon Chrétien. Fondamentaliste, souvent. Séparation de l’église et de l’état: dans la Constitution, sur papier. Mais un Président fraîchement élu jurera de servir son pays, une main sur la Bible. Et chaque politicien s’arrangera pour être vu dans une église. Sinon, ça coûte des voix… Et tout le monde connaît les paroles de “God bless America”. Et sur tous les billets de banque il est imprimé: “In God we trust”. Tant pis pour les athées! L’Amérique ne semble pas être laïque du tout. Et son Dieu semble être riche et blanc. Les églises, ici, se remplissent toujours, contrairement à celles de chez nous. Et les visages sont aimables et sereins: Dieu est avec nous!
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