En guise d’introduction
Je ne mettrai pas ici le récit détaillé, au jour le jour, du voyage, mais une série de 23 articles écrits pour l’hebdomadaire luxembourgeois «Le Jeudi». Pour les curieux, vous trouverez tous les textes du journal de bord et toutes les photos dans deux livres (no. 5 et 6).
La petite voiture a plus de cinquante ans… L’homme au volant, les cheveux blancs – moi – j’en ai soixante-quatre… Derrière nous: plus de vingt-mille kilomètres de route accomplis… Devant: encore plus de dix-mille à faire…
Quelle est cette folie? Cette folie s’appelle le rêve. Le rêve de faire le tour de la planète dans un véhicule pas fait pour ça. Un défi lancé à moi même: y arriverons-nous? Une question que je me pose chaque jour. Car le doute voyagera avec moi jusqu’au dernier kilomètre.
Le rêve de voir notre planète autrement, à petite vitesse mais en continu, pas le pointillé des voyages en avion, ou des gares ferroviaires. Voir graduellement les paysages changer, les saisons s’installer. Pouvoir s’arrêter à chaque instant! Aller à la rencontre des gens. Leur parler. Partager un repas ou un verre.
Le rêve d’être au bon endroit au bon moment, quoi qu’on en dise: traverser la vallée de la Mort en plein été, par +45°C, ou les plaines sibériennes en plein hiver, dans la tempête, par -45°C… Connaître les extrêmes. Et les subir…
La route, interminable, avec comme seule musique le ronronnement des 750 cm3 du petit moteur de la 4CV et comme seul refrain les mots du professeur Tournesol: «À l’ouest… Toujours à l’ouest!»
C’est ce voyage fou que je vous raconte ici. Prenez place, avec moi, dans “La Petite”, et laissez-vous conduire !
Un peu d’histoire : 1908-2010. Le voyage précédent de la “Petite”, le Paris-Gobi qui démarra le 07/07/07, était inspiré par le raid Pékin-Paris de 1907, organisé par le journal parisien “Le Matin”. Après le succès retentissant de ce raid et la victoire du prince italien Scipione Borghese à bord de son Itala, en 1908, “Le Matin”, en collaboration avec le “New York Times”, lançait un défi encore plus fou: un raid automobile de New York à Paris en hiver, avec traversée du détroit de Behring vers la Sibérie (ce dernier “détail” fut rapidement abandon-né.) Le 12 février 1908, six voitures étaient sur la ligne de départ à Times Square, New York. Trois françaises: une De Dion-Bouton, une Motobloc et une Sizaire-Naudin, puis une Züst italienne, une Protos allemande et une Thomas Flyer américaine.
Les concurrents du New York-Paris et quelques officiels, peu avant le départ du 12 février 1908: 1-Julian Bloc, 2-Ernst Maas, 3-Hans Koeppen, 4-Maurice Livier, 5-Arthur Hue, 6-Antonio Scarfoglio, 7-Charles Godard, 8-Hans Knape, 9-G. Bourcier St.Chaffray, 10-Hans Hendrik Hansen, 11-Alphonse Autran, 12-Emilio Sirtori, 13-Henri Haaga, 14-Auguste Pons, 15-Maurice Berthe, 16-W.J. Hanley, 17-Lucien Deschamps, 18-Fred J. Schwentzel. Il manque l’équipe américaine (Montague Roberts, George Schuster et Walter Williams).
Le départ de Times Square, New York, 12/02/08.
La Sizaire-Naudin conduite par Auguste Pons (celui qui avait été contraint à l’abandon dans le Gobi un an auparavant), avec Maurice Berthe et Lucien Deschamps comme coéquipiers.
La Motobloc conduite par Charles Godard (celui qui avait conduit la Spyker au cours du raid Pékin-Paris de 1907) avec Arthur Hue et le caméraman Maurice Livier.
La De Dion-Bouton avec l’équipage G. Bourcier St. Chaffray, Alphonse Autran et le “capitaine” norvégien Hans Hendrik Hansen.
La Züst italienne avec devant: le pilote Emilio Sirtori et le mécanicien Henri Haaga, derrière Arthur Ruland (représentant de Züst aux USA) et le journaliste Antonio Scarfoglio..
La Protos allemande avec le lieutenant Hans Koeppen et les ingénieurs Ernst Maas et Hans Knape.
La Thomas Flyer américaine avec le premier pilote Montague Roberts, le mécanicien et futur conducteur George Schuster, et le journaliste Walter Williams.
Les Français n’eurent pas beaucoup de chance. Une fois de plus, Auguste Pons fut le premier à abandonner, après une panne à Peekskill, NY, à 71 km à peine de Times Square! Charles Godard, déjà au centre de magouilles et malversations en 1907, fut contraint à l’abandon dans l’Iowa après avoir parcouru moins de 2 000 km et la De Dion-Bouton d’usine fut retirée de la course pendant la traversée du Japon, après avoir couvert près de 12 000 km.
Les trois autres équipes arrivèrent à Paris, après avoir affronté des conditions de froid, de neige puis de boue effroyables aux États Unis et en Sibérie. Cette fois-ci, les gagnants n’étaient pas les Italiens: ils terminaient troisièmes à Paris après sept mois de voyage et de souffrance. Le 26 juillet 1908, l’équipe allemande fut la première à arriver dans la Ville Lumière, mais elle fut pénalisée pour avoir emprunté le train entre Ogden, Utah et Seattle et pour ne pas avoir été jusqu’en Alaska. À la fin, c’est George Schuster sur la Thomas Flyer qui fut déclaré vainqueur de ce qui allait entrer dans l’histoire comme “La Grande Course”, honneur qui lui valut même d’être reçu par le Président Theodore Roosevelt.
Les récits anciens
On en a écrit des livres sur “La grande course”! Mais il n’y a que deux témoignages directs, celui du lieutenant Hans Koeppen qui a décrit l’épopée de la Protos allemande, et celui du journaliste Antonio Scarfoglio, de l’équipe de la Züst italienne. Pour le voyage précédent, j’avais réussi à me procurer les quatre livres de l’époque, écrits par les participants au raid Pékin-Paris de 1907. Maintenant j’ai pu trouver les éditions originales de la course de 1908: «Im Auto um die Welt» (Berlin, 1908), et «Round the World in a Motor-car» (traduit de l’Italien, Londres, 1909).
Le Matin. À l’origine du raid “Pékin-Paris” de 1907 et de la grande course “New York-Paris” de 1908, il y avait donc le journal “Le Matin”. Fondé à Paris le 26 février 1884 par l’Américain Sam Chamberlain, “Le Matin” voulait être un journal original. Vers le tournant du siècle, il s’installe au 6 boulevard Poissonnière dans le Xème arrondissement de Paris. C’était un très grand journal, bénéficiant de locaux spacieux, d’un personnel nombreux et de moyens techniques modernes pour l’époque. Le nouveau propriétaire, Maurice Bunau-Varilla, n’hésite pas à mener des campagnes spectaculaires, dont les deux raids automobiles de 1907 et 1908. Au faîte de sa gloire, vers 1917, le titre tire à 1,6 millions d’exemplaires! Mais entre 1918 et 1939, les tirages chutent à 320 000 exemplaires. Dès les années 1930, le journal bascule vers l’extrême droite et pendant l’occupation “Le Matin” se rallie à la collaboration avec l’occupant nazi. En août 1944, peu après la mort de Bunau-Varilla, le journal se saborde.
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