Le goût de la route
Difficile de dire comment tout cela a commencé… Né juste après guerre à Laren, petit village d’artistes aux Pays-Bas, j’avais un père qui m’a donné le goût de l’écriture et de la photographie. Dès l’école primaire, j’écrivais de petites histoires, et dès mes onze ans, je photographiais, développant moi-même mes pellicules et tirant mes photos dans une petite chambre noire coincée sous l’escalier de ma maison natale. L’époque numérique n’allait arriver qu’un demi-siècle plus tard…
La question qui revient souvent: «Quand est-ce que tu repars pour une nouvelle aventure?» Au début, je n’en savais rien… J’avais plusieurs idées qui me trottaient en tête, mais depuis peu, il y en a une qui semble se préciser. Je ne dévoilerai pas tout de suite, mais je commencerai par dire que dans mon bureau atlas, cartes routières et guides «Lonely Planet» s’accumulent… C’est un signe qui ne trompe pas! Il va s’agir d’un voyage, pas de plongée… Ce voyage s’appuie sur d’autres expériences, accumulées tout au long de ma désormais longue vie (66 ans, hier)…
1948. Mon premier voyage date de l’été de 1948, j’avais un an et demi. Ayant découvert mon autonomie en marchant sur mes propres petits pieds, un beau jour j’ai quitté la maison et suis parti à la découverte du monde. Panique à la maison quand on découvrit que j’avais disparu! C’est notre femme de ménage Annie qui m’a retrouvé à un bon kilomètre de la maison!
1954. Pendant l’été de 1954, j’avais alors sept ans et demi, deuxième aventure… Je me suis fait prêter une tente monoplace provenant des surplus de l’armée suédoise par Gé van der Pol, un copain de mon grand frère Rolf. J’ai dressé cette tente dans une clairière derrière la maison, pas loin, mais totalement caché par les arbres: j’étais seul. Et j’ai décidé d’y passer la nuit. Pour ne pas me faire voler mon vélo, dépourvu de cadenas, je l’attachai avec un bout de ficelle à la tente: si jamais un voleur voulait s’en prendre à ma bécane, j’en aurais été averti immédiatement. Ce que j’aurais fait alors? Je n’en sais rien – la question ne s’est heureusement pas posée!
Ma passion pour le voyage était né, et bien que je ne savais pas encore lire les cartes à l’époque, on peut tout de même esquisser à peu près mes premières (dé)marches de voyageur sur le plan ci-contre:
Mais je m’étais prouvé, dès ma petite enfance, que je pouvais me déplacer dans le monde et dormir ailleurs que dans mon lit. C’était le prélude à d’autres voyages… en attendant celui qui va venir…
Mon autonomie accrue m’offrait la possibilité d’effectuer de véritables petits voyages. Un jour, je me mis en selle pour aller de la maison, à Laren, au château «Muiderslot» – une distance de 16 kilomètres. Carte (pas de voyage sans cartes!!!):
Mais arrivé devant le célèbre château, un panneau indiquait que l’accès était interdit aux enfants en-dessous de 16 ans, non-accompagnés… Je ne vis donc le «Muiderslot» que de l’extérieur. Un rêve s’écroulait!
Je n’avais que neuf ans, n’osais pas essayer d’entrer quand-même, et retournai bredouille en pleurant de chaudes larmes sur le chemin du retour. J’avais pédalé pendant 32 kilomètres pour rien… Quoique: j’avais appris que les choses ne se déroulent pas toujours forcément comme on l’espère. Une leçon pour la vie!
1960. En 1960, je déménage, avec mes parents, vers le Midi de la France. Double drame: celui de quitter la maison de mon enfance, havre de paix entouré de nature, et celui d’arriver dans un autre pays, une autre culture, une autre langue. Mais, double leçon aussi: faire face au déracinement, l’obligation de m’adapter… Bref: je grandis.
Voici ma maison natale à Laren, où j’ai passé les 13 premières années de ma vie.
À l’automne de 1960, mes parents m’achêtent un vélomoteur, pour me permettre de me rendre de façon autome de La Turbie, où nous habitons, au Lycée Albert Ier de Monaco, une distance de 10 kilomètres et une dénivellation de 500 mètres. Bien entendu, je suis très fier de ma «bécane», une Peugeot BB Griffon de 50 cm3. Pendant l’été de 1961, j’ai 14 ans, je fais l’aller-retour La Turbie – Aix-en-Provence, une distance de 400 km, avec ma machine.
Septembre 1962 – 1.400 km en 3 jours.
J’ai 15 ans… Ma fierté, donc: mon vélomoteur, un Peugeot BB “Griffon” de 49 cm3. Avec deux vitesses ! Le 10 septembre 1962, à 2h40 du matin, je quitte notre maison de La Turbie, dans le Midi de la France. Le cœur battant, car c’est mon premier grand voyage tout seul. À l’arrière de mes bagages, j’ai fixé une plaque en contreplaqué, sur laquelle j’ai peint : « Nice – Amsterdam – Nice / 3 000 km ». Je pars, encouragé par un père qui me fait le grand cadeau de me faire confiance, fier de me voir grandir et voler de mes propres ailes. Je ne peux imaginer l’angoisse de maman, de voir le minuscule feu rouge de mon engin s’éloigner dans la nuit…
La Grande Corniche. Je frissonne dans l’air frais nocturne. Je traverse Nice, longeant la Promenade des Anglais, la Méditerranée à ma gauche. Après l’aéroport, je bifurque vers le nord. Je suis la vallée du Var. J’emprunte la route de Puget-Théniers à Digne. Dans la faible lumière de mon phare jaune se dessinent les virages. Ivresse de les négocier en penchant mon deux-roues. En contrebas gronde un torrent que je ne peux pas encore voir. Entre Digne et Sisteron, le ciel vire du noir au gris, puis, vers Le Poët, se teinte de rose. Le jour se lève, poétiquement. Après Gap, c’est sous la pluie que j’entame l’ascension raide du Col de Bayard. Je traverse Grenoble à présent. Je suis mouillé jusqu’à mes sous-vêtements. Je longe le massif de la Chartreuse, direction Chambéry. Le soleil revient. Assis dans l’herbe, je mange un peu de pain et de fromage avant de continuer ma longue route. C’est en fin d’après-midi que j’arrive à Nantua. Le camping municipal se trouve à côté du stade. Il est désert, la saison est finie. J’y suis seul. Je dresse ma petite tente, gagnée en travaillant pour mon père. Sur mon camping-gaz “Bleuet”, je fais réchauffer une boîte de cassoulet. J’ai une faim de loup après quinze heures et près de 500 kilomètres de route! Je m’enroule dans mon sac de couchage. Heureux. Fier. Et très fatigué…
Le lendemain, je suis debout à 4h du matin. Je plie mes bagages, attache le tout avec des sandows sur le porte-bagages du vélomoteur, et reprends la route. Celle-ci serpente dans une vallée qui me fait pénétrer dans le Jura. Peu avant Saint-Claude, il fait toujours nuit, l’ampoule de mon phare grille. Je n’en ai pas en réserve. Je continue la route en écarquillant les yeux. Dans les petits villages que je traverse, ça sent bon le feu de bois et le pain fraîchement cuit. Un jour blafard se lève. Je commence à avoir mal aux fesses et change de position régulièrement. Salins, Besançon, Vesoul, Nancy… Un peu au nord de Metz, au bout d’une deuxième étape de 500 kilomètres, je dresse la tente dans un petit bois. Il s’est remis à pleuvoir, les gouttes tambourinent la toile. C’est sur ce fond sonore que je m’effondre dans un profond sommeil.
Troisième jour. Je traverse la Belgique d’Arlon à Liège, et j’entre aux Pays-Bas à Eijsden près de Maastricht. Den Bosch, Eindhoven, Utrecht. Les vingt derniers kilomètres. J’arrive à Laren, mon village natal, chez Rolf, mon frère de neuf ans mon ainé, qui étudie l’économie à l’Université d’Amsterdam.
Pendant qu’il me prépare un repas, je calcule, très exactement, les chiffres de mon “exploit” : 1398 kilomètres en 36 heures de route. Une moyenne de 39 km/h.
(Dessin que j’ai fait à l’époque)
Mes parents n’ont pas le téléphone. Afin de les rassurer, je leur envoie un télégramme, dans lequel j’écris : « Ai fait un excellent voyage. » Signé, non pas sans une certaine autosatisfaction : « Globe-trotter ». Sur le télégramme, ma mère, soulagée et fière, ajoutera le commentaire suivant de sa main : « Parti le 10/9, 2.40 de la nuit en vélomoteur. Extraordinaire. »
Que faire quand ça ne va plus ?
Après avoir passé une semaine avec mon frère et les anciens camarades de classe de mon école, le 25 septembre 1962, à nouveau très tôt le matin, je quitte Laren. J’entame la route de retour vers le sud. À 6h45 du matin, à la frontière belge, très exactement à Lommel, les autorités me signalent que l’assurance de mon vélomoteur, police no. 0622-40535, contractée auprès de La Compagnie du Soleil, Société Anonyme sise à Paris, au Capital Social de 8.000.000 NF, n’est pas valable en Belgique… Pour le prix de 80 francs belges (n’en ayant pas, on accepte l’équivalent en florins), j’en contracte une autre, valable dix jours, auprès de la Cie “Assurance Automobile Frontière” – 7, rue Guimard – Bruxelles.
Je passe par Hasselt, Huy, Ciney, Beauraing… Les Ardennes sont vallonnées, le temps est au beau fixe. Soudain, dans un grincement qui me glace le sang, le moteur de ma monture se bloque. Je mets le vélomoteur sur béquille pour étudier la question. Très jeune, j’ai appris les rudiments de la mécanique. Je sais démonter la culasse de mon engin pour le décalaminer, je sais changer les segments du piston. Je découvre rapidement que le blocage se trouve au niveau de la boîte à vitesses. J’essaie, en vain, d’y remédier, cassant mon grand tournevis dans l’opération. Me voilà perdu en pleine Belgique, à côté d’un patelin qui s’appelle Gedinne, sans un sou belge en poche, et un vélomoteur chargé de bagages qui ne veut plus avancer. Que faire ? Possédant des francs français, je me dis qu’il faut absolument que j’atteigne la frontière, située à une trentaine de kilomètres de l’endroit de ma panne.
Il est dix heures du matin. Je commence à pousser mon engin surchargé, peinant dans les montées qui demandent une éternité à gravir, soufflant en roulant en roue libre le long des descentes, franchies en quelques minutes à peine. Je suis en nage. Les heures de marche pénible se succèdent. J’ai mal partout : aux pieds, aux jambes, aux bras, aux épaules. De rares voitures ou de gros camions chargés de troncs d’arbres me dépassent de temps à autre. Personne ne semble s’intéresser à mon sort. De temps à autre, je m’effondre dans l’herbe sur le bord de la route. (Dessin fait à l’époque)
Il m’arrive de sangloter. C’est en fin d’après-midi, au bout d’un effort soutenu de plus de sept heures, que j’arrive au poste frontière. Un douanier me demande pourquoi je pousse mon vélomoteur. Je lui explique mon malheur. Apprenant que je désire me rendre vers la ville française la plus proche, il me dit qu’il va arranger ça. Il arrête un camion chargé de troncs. Visiblement, le routier et le douanier se connaissent. Mon engin est hissé sur la cargaison et attaché avec une corde. Quinze kilomètres et vingt minutes plus tard, le camionneur me dépose, avec mon vélomoteur, devant la gare de Sedan.
À la gare, à la nuit tombante, je découvre que je n’ai pas assez d’argent pour retourner à la maison dans le Midi. Ne sachant comment communiquer avec mes parents, ni avec mon frère, je trouve une solution. J’attache le vélomoteur avec mon cadenas à un lampadaire devant la gare. Discrètement, j’ouvre le phare de ma Peugeot avec un tournevis, déposant la clef du cadenas à l’intérieur du phare avant de le refermer. Puis j’achète un billet de train Sedan-Hilversum, via Luxembourg. Douze heures d’attente dans la gare de Luxembourg, où je suis le témoin choqué du tabassage d’un Nord-Africain par les policiers grand-ducaux. Retour vers le nord en train. Maastricht. Hilversum. L’autobus pour Laren. Quarante-et-une heures après l’avoir quitté, je tombe dans les bras de mon grand frère, épuisé. Je peux enfin manger, prendre un bain, dormir…
Rolf m’achète un billet de train Hilversum-Monaco, via Paris. On en informe les parents au moyen d’un télégramme : « Vélomoteur en panne boîte à vitesses – stop – arriverai samedi matin neuf heures gare Monaco – Steven »
À partir de Paris, le train est tracté par une locomotive à vapeur. Impressionnant engin, condamné à disparaître bientôt avec l’électrification de tout le réseau ferroviaire français… Je suis assis à côté d’une jeune femme. En pleine nuit, dans le compartiment éclairé par une petite veilleuse et bercé par la cadence régulière des roues sur les rails, je ressens une attirance sexuelle pour ma voisine que, du haut de mes quinze ans, je ne sais exprimer. Je fais semblant de m’endormir et lentement, je me blottis contre elle. Je sens sa chaleur, j’inhale son parfum. Mon cœur bat la chamade. En gare de Nice, arrêt de vingt minutes. Ma voisine descend. Je la regarde s’éloigner, ses talons élégants, ses hanches féminines, sa taille de guêpe…
En gare de Monaco, mes parents m’attendent. Fin heureuse, même si elle n’est pas glorieuse, de mon premier voyage solitaire. Dans l’annuaire téléphonique, on trouve le nom d’une société de transport à Sedan. On leur téléphone, expliquant où trouver le vélomoteur et sa clef. Quelques jours plus tard, ma machine est de retour.
Je l’emmène chez le concessionnaire, un mécanicien dont le ventre blanc et grassouillet est à peine dissimulé par les bretelles de sa salopette de travail. Jean Mattone répare la boîte à vitesses. Papa soupire devant la facture. Et moi, j’aurais appris à Gedinne, que ce n’est pas toujours facile d’être globe-trotter…
La Vespa. En 1963, je troquais mon vélomoteur pour un scooter d’occasion, une Vespa de 125 cm3. Elle m’a servi pendant plusieurs années, et a également été mon compagnon pendant ma deuxième grande aventure de voyageur, depuis le Midi de la France jusqu’à Athènes et retour, par les pas toujours faciles routes de la Yougoslavie d’il y a un demi-siècle.
1964. Un voyage de plus de 6000 km en scooter. Avec mon fidèle ami d’enfance, Jaap van Poelgeest, qui roulait, lui, en Lambretta 175 cm3. Nous dormions sous la tente ou à la belle étoile, nous chapardions des épis de maïs dans les champs pour manger, et, de temps à autre, nous faisions de la mécanique pour que le voyage puisse continuer.
Voici la carte du trajet, que j’avais dessiné à l’époque:
1965. Les Alpes en hiver. En 1965, je faisais l’aller-retour de La Turbie dans le Midi de la France, où j’habitais, vers Laren, aux Pays-Bas, où j’étais né (3 000 km), cette fois-ci, sans encombres… Et, toujours en 1965, je faisais un aller-retour Monaco-Dijon, en plein hiver, en passant par les Alpes. Me voici sur le col de la Croix-Haute:
La Norton. Mes aventures en deux-roues ne se sont pas arrêtées là… En 1964, j’avais acheté à une bande de motards plutôt louche de Beausoleil, menée par un type effrayant surnommé «Féfé», une moto Norton «Dominator» de 500 cm3, une superbe moto anglaise, mais… en pièces détachées…
Il m’a fallu 2 ans de travail pour la retaper entièrement.
Quel plaisir de conduire cette puissante machine, affectueusement appelée «Nortie» ! Me voici sur les routes bourguignonnes.
Mais en 1967, je retournais aux Pays-Bas pour m’inscrire à la Faculté des Sciences de l’Université d’Amsterdam. Je revendais la Norton et je me rachetais une autre Vespa, avec laquelle je fis le voyage Amsterdam – Port-Vendres (via Dijon, Arcachon et Andorre), pour aller plonger au sein du Club Subaquatique de la Côte Vermeille de Monsieur André Bonneau. On était en 1970. De Port-Vendres, je passais par le Massif Central, puis Monaco, avant d’enchaîner une succession de cols alpins sur le chemin de retour. Je semais ainsi, sans le savoir encore, les graines de voyages à venir…
1965 – Ma première 4CV. Mais avant de retourner aux Pays-Bas, restons encore un peu en France. En 1965, nous avions déménagé du Midi de la France en Bourgogne. Mon père avait jugé l’hiver bourguignon trop rude pour que je me rende quotidiennement en Norton de notre petit village de Couternon au Lycée de Montchapet à Dijon, une distance de 13 kilomètres. Il m’acheta alors une Renault 4CV d’occasion, datant de 1953. Que j’étais fier: ma première voiture!
Malheureusement, le rude hiver, le verglas sur la route nationale et surtout mon manque d’expérience firent mauvais ménage. En février 1966, je me retrouvais dans le fossé avec ma belle voiture, toute cabossée…
Il ne me restait plus qu’à la rafistoler et la remettre en état, me servant pour cela du polyester que je trouvais dans l’atelier paternel.
Après quoi j’ai repeint ma 4CV dans des couleurs «course» (rayures vertes et noires sur fond blanc), et ma première «Petite» retrouvait un peu de son éclat.
Me voici au volant de ma première voiture, que j’ai dû revendre avant de partir aux Pays-Bas en Norton, à laquelle succéda donc une Vespa de 150 cm3.
1969-1980 – Les 2CV. Pour ceux qui s’y perdent un peu dans les chapitres précédents, résumons… De 1960 à 1963, je roule en vélomoteur Peugeot Griffon. Entre autres un voyage Monaco – Hollande avec une grosse panne au retour. Première Vespa de 1963 à 1965, avec un voyage Monaco-Athènes-Monaco à travers la Yougoslavie. Puis une moto Norton, retapée par mes soins, avec laquelle je roule de 1966 à 1967, parallèlement à ma première Renault 4CV. En 1969, j’achète une autre Vespa, avec laquelle je ferai le voyage Amsterdam-Dijon-Arcachon-Andorre-Port Vendres-Anduze-Monaco-Alpes en 1970. Mais entre 1969 et 1975, je roule surtout en Citroën 2CV.
En 1969, je pars en voyage avec ma petite amie Eva. Sa mère nous prête sa 2CV datant de 1960, de peur de voir sa fille partir sur la selle de passager de mon scooter. Notre but: rallier notre village de Laren (Pays-Bas) à la Côte d’Azur et les Alpes. Étant encore vaguement artiste à l’époque, je faisais même quelques dessins.
Quelque part en France. Quel plaisir de faire du camping sauvage !
Je découvre également les extraordinaires qualités tous-terrains de la «Deudeuche»
Ce sera mon dernier voyage avec Eva, mais pas la dernière en 2CV. De 1971 à 1980, je serai l’heureux propriétaire d’une succession de trois 2CV fourgonnette. Avec ma nouvelle petite amie, Francisca, nous entreprendrons de multiples voyages avec ces véhicules extraordinaires. Le premier voyage, en 1971, nous mène en Grèce, en traversant, une fois de plus, la Yougoslavie. Camping sauvage en Allemagne.
Sur les pistes poussièreuses de la Yougoslavie.
2004 – «La Petite» !
En 2004, soudainement nostalgique de ma première 4CV bourguignonne, je décidai d’en chercher une autre, juste pour le plaisir de l’avoir. C’est une graphiste française, Delphine, qui me vendit la sienne, les larmes aux yeux. Ne pouvant pas se permettre de la garder (elle avait besoin d’un autre véhicule pour se rendre à son travail), elle avait mis en vente cette mignonne voiture qu’elle appelait déjà affectueusement «La Petite». Nom qui lui collait à la peau (à la 4CV, pas Delphine, quoique…) et que je décidai de conserver.
Comme j’avais commencé à faire les photos pour ce qui allait devenir mon livre «Greenwich – parallèles sur le méridien» (titre no. 3) je me disais que je pouvais essayer de rouler le long de la ligne imaginaire en France avec ma «Petite». Je ralliai Senningen – Caen, une étape de plus de 600 km en une journée, et tout se passa bien. Ensuite, je me rendais à Villers-sur-Mer (là où le Méridien Zéro entre en France).
Je parcourus les petites routes, GPS en main, pour coller au plus près à la ligne imaginaire, jusqu’au Cirque de Gavarnie, dans les Pyrénées, où le Méridien Zéro quitte la France.
Tout au long de la route, je photographiais paysages et gens, et bien sur, «La Petite» dont j’étais si fier ! Voici sur le Méridien Zéro à Saumur.
Près de Cognac.
Partout, «La Petite» reçut un accueil chaleureux. Pour moi, qui voulais faire du portrait, une aubaine: je n’avais pas besoin d’aller vers les gens, les gens venaient vers moi (enfin, vers «La Petite» !). C’est là que, dans mon subconscient, germa l’idée de faire d’autres voyages avec la 4CV, mais je ne savais pas encore où… «La Petite» se montra également courageuse dans les montagnes. Et c’est là que je me disais qu’on pouvait aller n’importe où avec elle… Quatre chevaux et trois ânes.
Je vous le disais: elle attire les gens !
Le retour fut un peu moins glorieux. J’avais un problème de collecteur, que j’ai dû changer en cours de route, à Beychac-et-Caillau, près de Bordeaux. J’apprenais par la même occasion que pour voyager en 4CV, il ne faut pas avoir peur de faire un peu de mécanique de temps à autre…
Mais finalement, le voyage d’un peu plus de 3000 km était un franc succès. J’envoyais photos et texte de «La Petite» sur sa trajectoire «Méridien 0°» à plusieurs revues. Une seule réagissait, et le reportage «En 4CV sur le Méridien “zéro”» fut publié sur six pages. [Gazoline, 10 (109) : 22-27 (2005)]. C’était un début modeste, mais prémonitoire…
2005 – La Nationale 7. «La Petite» et moi avions pris goût aux voyages… En 2005, des fonctionnaires animés par je ne sais quel démon décidèrent de dépaptiser des tronçons de la légendaire Nationale 7, la route des vacances des années 1950-1960, menant à la Côte d’Azur. L’époque où la 4CV était LA voiture populaire par excellence ! Je commençais par collectionner d’anciennes cartes postales des localités tout au long de la N7, puis entrepris la route, depuis le parvis de Notre Dame de Paris, jusqu’à la frontière italienne à Menton-Garavan. Une distance de 1001 km. Et, partout où c’était possible, je photographiais «La Petite» au mêmes endroits que mes anciennes cartes postales. Voici quelques échantillons.
Lambesc.
Le voyage fut à nouveau publié dans la revue «Gazoline», dont le rédacteur en chef, Jean-Jacques Dupuis, décidait aussitôt d’éditer un petit livre en parallèle : «La Petite» commença à être connue !
2005. Retour par les Alpes. Le voyage tout le long de la N7 s’étant bien passée, et ayant ma récolte de photos dans ma besace, je décidais de retourner par les Alpes. Et bien entendu, la facilité n’étant pas une option, je me suis arrangé pour que le voyage passe par 12 cols, dont 10 au-dessus de 2000 m, y compris le col de la Bonette (2802 m), le plus haut col d’Europe.
«La Petite» avala toutes ces hautes montagnes avec un certain appétit, ce qui donna lieu à une nouvelle collection d’images, y compris des comparaisons «avant-après», comme pour la N7. En route pour le Col d’Allos
Au Col de Vars, avec une vieille affiche montrant exactement le même endroit
La descente du Col d’Izoard
La montée vers le Col du Lautaret, capot ouvert pour mieux refroidir le moteur
Ambiance en descendant du Col du Grand Saint-Bernard
Et une fois de plus, la rédaction de «Gazoline» était suffisamment séduite par les prouesses de «La Petite» pour en faire à nouveau un petit livre! De quoi commencer à rêver de nouvelles aventures, plus ambitieuses…
2007-2008. De Paris à Pékin en 4CV. Après le Méridien de Greenwich, la Nationale 7 et les Alpes, il était temps de passer aux choses sérieuses… Ayant eu connaissance du premier grand raid automobile: Paris-Pékin en 1907 (qui pour des raisons climatologiques s’était couru en sens inverse), je me disais que pour en célébrer le centenaire, ce serait bien de faire un Paris-Pékin en 4CV. Largement soutenu par la revue Gazoline, on partait de Paris en juin 2007. Première étape jusqu’au Luxembourg. Sur le capot, un grand autocollant dessiné par Jean-Luc Delvaux pour la revue «Gazoline».
Le véritable départ eût lieu le 7 juillet 2007 (07/07/07) depuis le Luxembourg. À mes côtés, mon ami, coéquipier et interprète russe Igor Zadevalov.
Ensemble, nous traversions l’Allemagne, la Pologne, l’Ukraine… Les kilomètres, par dizaines, par centaines, par milliers, défilaient sous les roues de «La Petite». On arriva en Russie. Un village appelé «Progrèss»… Très approprié !
En franchissant l’Oural, début août, on entrait en Sibérie. Un arc-en-ciel près de Maryinsk nous offrait un magnifique portail vers l’Est.
En tout, jusqu’à la fin de mes vacances d’été, nous avions parcouru 11.000 km, parfois sur des routes difficiles. Bien entendu, il y eût des pannes, mais «La Petite» était capable de continuer vers la Chine. Je la laissais dans un abri à Oulan-Oudé, entre le lac Baïkal et la frontière avec la Mongolie. On allait poursuivre la route en 2008.
2008 : neige, glace et tempêtes de sable. Les deux dernières étapes du voyage Paris-Pékin se déroulèrent en 2008. En mars, on faisait une virée de 700 km sur les immensités glacées du lac Baïkal. Voici «La Petite» sur la glace (photo aérienne faite avec la technique KAP, à partir d’un cerf-volant).
Et voici votre serviteur prenant un petit bain frais dans une faille traversant la glace…
Après ce spectaculaire périple hivernal, «La Petite» fut à nouveau remisée à Oulan-Oudé. Elle en ressortait en été 2008, pour faire de longues randonnées en Mongolie. Là encore, elle fit ses preuves de courage et d’endurance. Elle a traversé des gués…
…et elle affrontait les pistes et fut contrainte à “bouffer” de la poussière…
Elle a même eu à subir plusieurs tempêtes de sable !
Le grand voyage, de plus de 16.000 km s’arrêta au fin fond du désert du Gobi, à seulement 26 km de la Chine (et 700 km de Pékin), les autorités chinoises n’e m’ayant pas accordé la permission d’entrer en Chine avec «La Petite»… Ce qui n’empêche que l’aventure avait été très belle, même si la 4CV fut rapatriée dans un piteux état… Toute l’histoire, avec les aventures racontées au jour le jour, devint un livre :
Les périples de «La Petite» s’arrêtaient-ils là ? Ça aurait été mal la connaître, et mal me connaître… Bien sûr, il allait y avoir une suite…
2010-2011. Le Tour du Monde avec «La Petite». Alors que le «Paris-Pékin» (devenu, par la force des choses, le «Paris-Gobi») était inspiré par la course Pékin-Paris de 1907, c’est «La Grande Course» de 1908 qui allait inspirer le prochain voyage. Voici le trajet entrepris:
Impossible de raconter ici tout le périple dans les détails. Pour cela, vous pourrez vous rendre à un autre chapitre sur ce site : «Autour du monde avec la “Petite”». Il suffit de dire que ce fut un voyage des extrêmes.
En août 2010, dans la Vallée de la Mort (Californie), la température atteignit les 45°C à l’ombre. Sauf… qu’il n’y avait pas d’ombre !
Alors qu’en décembre 2010, pendant la traversée de la Sibérie, le mercure descendait à -45°C…
La route n’était pas toujours sans dangers… Mais alors que les pros avaient de gros problèmes, «La Petite» parcourut les 33.500 km sans encombres.
Après notre retour, en février 2011, je sortais deux livres sur cette extraordinaire aventure. Un journal, retraçant au jour le jour les évènements et mes états d’âme:
Et un beau livre avec les meilleures photos du périple: «La Petite», les paysages, les portraits des personnes rencontrées en route et beaucoup d’autres choses encore…
Vous trouverez plus de détails sur ces livres de voyage ici.